L’état climatique ou cette intimité qui nous dérange

Crédit photo : Alexas_Fotos

L’ÉTAT CLIMATIQUE, OU CETTE INTIMITÉ QUI NOUS DÉRANGE

La COP30 se tient sous le signe d’une urgence devenue presque banale, d’une inquiétude si constante qu’elle se dissout dans le bruit de fond de nos sociétés saturées. Mais au-delà des discours technocratiques sur « l’adaptation » et les politiques de « développement durable », quelque chose de plus profond, de plus inquiétant et de plus intime se joue : notre proximité avec le monde se révèle, et cette révélation nous dérange.

Le changement climatique n’est pas seulement un phénomène mesurable — accumulation de gaz à effet de serre, hausse des températures globales, acidification des océans (GIEC, 2023) — il est avant tout une crise de la relation. Nous découvrons, malgré nous, que nous ne sommes pas séparés du monde mais enveloppés en lui. Cette intimité, longtemps refusée, car elle exige un engagement que notre modernité n’a cessé d’éluder, se rappelle à nous sous la forme d’un bouleversement global.

Nous, les nouveaux rois Midas, avons voulu que tout ce que nous touchons devienne ressource, marchandise, possession, or, amours jetables. Nous, rois « sans divertissement », avons, tel le roi de Jean Giono (Le Roi sans divertissement, 1947), assassiné nos frères et sœurs — terres, ciels, océans, vivants et non-vivants — dont nous sommes pourtant les indiscernables.

Et, alors, nos divertissements contemporains, ici même dans le cadre de la COP30, ne sont que ces écrans et ces chiffres derrière lesquels nous tentons d’oublier la fragilité de notre condition terrestre. Nous avons rêvé d’un monde-objet ; nous découvrons un monde-sujet qui nous enveloppe et nous étreint.

CETTE INTIMITÉ QUI NOUS DÉRANGE…

Timothy Morton, dans Dark Ecology: For a Logic of Future Coexistence (2016), a proposé de penser cette situation comme une étrangeté radicale : « être écologique », écrit-il, ce n’est plus « aimer la nature », mais accepter d’être pris dans une relation qui nous dépasse et nous implique jusqu’à la nausée. Le réchauffement, la fonte des glaces, la montée des eaux ne sont pas des drames extérieurs : ils palpitent dans nos corps, dans nos cellules, dans la trame invisible de nos existences. L’écologie n’est pas un programme politique : elle est notre condition ontologique.

C’est précisément ce que nous rappelle l’« ontologie plate » de Graham Harman (The Quadruple Object, 2011) : aucun être — qu’il soit humain, animal, minéral ou artefact technique — ne peut se prétendre plus réel qu’un autre. Nous sommes des objets parmi d’autres, reliés, affectés, intriqués dans un réseau d’interactions où tout agit et interagit. Ce réalisme spéculatif fait éclater le mythe du sujet maître du monde. L’enfer, dès lors, ce n’est plus « les autres », mais nous-mêmes, pris dans la chair du monde que nous avons voulu ignorer.

CETTE INTIMITÉ QUI NOUS DÉRANGE…

Il ne s’agit donc plus de « s’adapter » au changement climatique — terme malheureux qui suppose encore une extériorité à gérer — mais d’apprendre à habiter cette intimité. Habiter, au sens que lui donne Bruno Latour dans Où atterrir ? (2017), c’est reconnaître que notre sol commun n’est plus le ciel des abstractions modernes, mais la terre concrète de nos interdépendances. Loin de l’idéologie de la maîtrise, il nous faut inventer une éthique de la co-présence, une esthétique de la vulnérabilité, peut-être même une politique du trouble.

L’avenir ne se construira pas dans la séparation mais dans l’enchevêtrement. Ce que nous appelons « crise climatique » est aussi une crise de l’imaginaire : nous ne savons plus penser l’intimité sans la posséder, ni la vulnérabilité sans la craindre.

CETTE INTIMITÉ QUI NOUS DÉRANGE…

Peut-être est-ce cela, au fond, le véritable défi de notre temps : cesser d’être des « écologistes » — posture encore séparée, encore gestionnaire — pour redevenir ce que nous n’avons jamais cessé d’être : la chair et le tissu du monde, sa vibration inquiète, sa pensée en devenir. Non plus des habitants de la Terre, mais la Terre elle-même, pensante, tremblante, consciente d’elle-même.

CETTE INTIMITÉ QUE CERTAINS DISSIMULENT SOUS UN DÉODORANT, ARÔME “SAPIN ET CLIM” À FOND…

Quant aux climato-sceptiques, ces nouveaux souverains d’un royaume en flammes, ils persistent à nier l’incendie en se félicitant de la chaleur. Rois de la bêtise, ils trôneront sur un tas de cendres qu’ils appellent encore « progrès » — et s’étonneront, un jour prochain, que la couronne fonde sur leur crane ganache.

Le 12/11/2025

Nathalie Roudil Rébillout

Institut Noesis

Hypnothérapeute, enseignante de philosophie et d’italien, artiste peintre

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